• "CHEVAL DE FER"

    Me voilà à l’Ouest, en Bretagne, dans la région du Morbihan, ici se joue un Western d’un genre nouveau. Les cow-boys sont en bien mauvais état, décimés par l’impitoyable industrie, il n’en reste plus que quelques uns la survie est rude mais vaut le coup. La reconquête de sa liberté n’est pas chose aisée et, y parvenir apporte quelque chose que personne ne peut enlever, la satisfaction de ne devoir rien à personne, de ne plus avoir à se justifier et donner vie à sa passion. Touchée par ce phénomène, le statut de témoin ne me suffisait plus je suis donc partie à la rencontre de ces derniers héros pour tenter de saisir l’essence de cette résistance. Les cow-boys que je vous présente sont bons, brutes et évidemment un peu truands. Ils ne gardent plus les vaches mais des savoir-faire qui se sont perdus et, ainsi font renaître des légendes oubliées. Ils ont délaissé la fourrure de leurs montures passées pour remonter sur des chevaux au métal scintillant. Ces artisans offrent une codification plus moderne du cow-boy mais conservent l’âme qui font de ce mythique vacher un affranchi.

    Une chevauchée… pédestre qui débute par un duel avec le Bon, Julien. C’est dans une odeur d’acier suant que Julien me fait découvrir son cheptel. Toute sa vie il aura recueilli, soigné, préservé des espèces rares qui jadis comptaient parmi les 700 grands fabricants français de vélos. A chaque spécimen son box et son histoire. Ici, un Pégase dont le garde boue percé à perdu le filet qui protégeait les jupes des dames, accroché par là un Delage au pédalier sculpté, à coté un Delta au pédalier tout aussi particulier puisqu’étoilé, au bout un Triumph dont les poignées moto faisaient défaut. Et, sur cette table de travail qui n’est autre qu’un lit élévateur d’hôpital, se trouve gisant et éventré un BSA aux trois fusils des années 20. Ses freins en tringle se sont disloqués et le mécanisme qui permettait de régler l’avancée de la selle s’est brisé dans sa chute vers les rébus. Julien a une formation de soudeur, il a developpé au cours des années une sensibilité au métal qui l’a aménée à comprendre la matière et, à en faire ce dont il en a envie. Ses vélos à l’aura incomparable se retrouvent suspendus là, sur la façade de l’atelier, rendant compte d’un prodigieux acharnement de l’artisan à s’emparer d’un passé pour qu’il ne puisse plus s’évanouir. Une collection vivante et ahurissante que Julien qualifie de « plein de trucs qui roulent comme ceux qui ont pleins de chaussures ». Ceci n’est pas une vitrine mais un manifeste. S’il n’est pas sur ses vélos on peut le susprendre sur sa fougueuse Monet Goyon de 1936. Son moteur est apparent si bien que la béquille est nécessaire pour éviter qu’elle trottine et s’échappe au démarrage. Tout a été remis en état pour cet amas de métal destiné à la rouille: son levier inversé, son réservoir en selle… L’ampleur de cette raccommodation m’amène à introduire la Brute.

    La Brute s’appelle Servan et, c’est clope au bec qu’il sort de la nuit son troupeau resté à l’atelier. Le cambouis en guise de revêtement de sol et l’essence en complément olfactif. Ici, l’artisan redonne forme à des carrosseries ratatinées, remet en place des moteurs déboîtés, réassemble une transmission dispercée, défait les chromes de leur rouille, retend le cuir usé des selles fatiguées. Les bêtes apeurées attendent le martelage qui leur redonnera les lignes tendues dont elles étaient pourvues et, qui engageaient chacun à en prendre soin. Et, lorsque les derniers gestes de Servan se résument à un nonchalant coup de chiffon, alors la déroutante vitesse peut être enfin libérée. En amont, l’épopée a été pensé, réfléchis, longue, éreintante et troublante. Et, c’est bien ses recherches qui animent notre cow-boy, entendre le moindre détail de chacune de ses motos, en connaître les multitudes anecdoctes pour qu’elles n’aient plus de secrets pour lui. Une démarche qui étonne, l’artisan dépasse l’oubli, alimente ses passions, perfectionne ses techniques et, pour cela, prend son temps ce que selon lui beaucoup de personnes ne font plus au préjudice d’une curiosité créative. Son bestiaire est tout aussi glorieux que celui de Julien. On aperçoit notamment, au coin une Suzuki 650, tout près une Terrot, option rallye avec son échappement haut et, puis son bijou la Terrot de 1925. Une pièce rayonnante qu’il enfourche souvent, profitant alors de toutes les particularités dont elle est dotée : son large repose pied, son frein en bois, sa courroie percée au réglage analogue à celui d’une ceinture, son réservoir entre tubes et, son phare acéthylène qu’on se doit d’allumer à l’allumette avant toute vadrouille.

    L’autre baroudeur c’est J-M toujours sur sa Suzuki de 1976, il s’évertue à glâner des objets de la Marine considérés comme obsolètes. J-M est passé maître dans l’art de résusciter en réactualisant ces laissés pour contre. Une fois l’histoire de chacun d’entre eux vérifiée, complétée, interrogée le malicieux se met en quête de les faire fonctionner. Et, c’est surmonté de son ciel de lanternes qui orne l’atelier que cet artisan peine à trouver sous l’amoncellement de maquettes de bateaux la clef qui lui permettra de remonter une pièce jusqu’à ce que son mécanisme interne puisse être audible. Téméraire il ne peut se résoudre à abdiquer qu’il s’agisse de bateaux, d’horloges, de jumelles, d’outils de mesures… Sa seule ligne de conduite, faire ce qu’il veut quand il veut. Quoiqu’insolente cette attitude ne pourrait être sans une force certaine.